RAKU
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HIDEYOSHI — RIKYU
Extrait de : L'art de la poterie : Japon-France, par un potier / William Lee 1913
« Voici ce XVIe siècle, ère culminante pour les chanoyu et les arts, âge d'or de la poterie.
Deux très grands ministres, des guerriers fameux, une aristocratie de seigneurs magnifiques aux mœurs raffinées, des maîtres de thé et des sectes sans nombre, et parmi eux le grand réformateur des cérémonies, l'arbitre suprême du goût japonais, Rikyu; une foule d'écrivains, d'artistes, d'experts et de connaisseurs et toute cette élite possédée d'une espèce de frénésie pour le thé et les objets qui s'y rattachent.
Et tout cela : ces fêtes, ces raffinements, ces plaisirs de dilettante se déployant non pas dans la demi-somnolence d'un règne de paix, mais au milieu des camps, des batailles, des luttes homériques et des plus effroyables convulsions qu'un pays ait traversées. Tel est le raccourci de ce siècle fameux dont l'influence sur les arts s'étend jusqu'au milieu du siècle suivant (1650 environ). Toute cette période comprend ce que les Japonais dénomment Moyen-Age.
Jusqu'aux environs de 1550, sous des princes impuissants, l'anarchie est complète. Les disputes sanglantes éclatent jusque dans Kyoto même. L'autorité des Shogun est tombée à rien, entamée, ruinée petit à petit par les grands feudataires qui sont rois chez eux et entretiennent chacun une armée.
C'est alors que le mikado fait appel à un habile chef de bandes nommé Ota-Nobunaga, le chargeant de pacifier le royaume.
Nobunaga (1534-1582) réussit. Il anéantit ensuite la famille Ashikaga et la supplanta. Il reçut de l'empereur le titre de Udaïjin,mais par manque de naissance ne put prétendre à celui de Shogun.
« On vit alors la sécurité et le calme renaître dans la capitale, mais pour quelque temps seulement (3).
(3). On fait remonter à 1534 l'introduction par les Portugais des armes à feu et des canons au Japon, et vers 1575 l'apparition du christianisme. Ota-Nobunaga ne peut maintenir son autorité qu'en bataillant sans cesse. Hideyoshi paraît alors sur la scène : c'est un des lieutenants de Nobunaga.
Quand celui-ci meurt prématurément (1582) assassiné ainsi que son fils par un traître, Toyotomi Hideyoshi (1536-1598) se sentant assez fort et assez rusé, n'hésite pas à mettre la main sur le pouvoir. Il ne fit que remplacer son maître dans son despotisme guerrier et bientôt, à la tête de ses armées victorieuses, il soumit et pacifia tout le Japon. Il obtint alors de l'empereur le titre de Kwampaku, qui signifie régent, et ensuite celui de Taïko. Il bâtit pour sa résidence et pour ses plaisirs des forteresses à Kyoto, à Fushimi, à Osaka. Poussant plus loin encore ses vues ambitieuses Hideyoshi organisa deux expéditions colossales contre la Corée et la Chine (1592-1597); mais, au milieu de la seconde, la mort le prend (1598).
« Très rapidement tous ses biens sont dispersés, sa famille s'écroule et le titre de Shogun est alors dévolu, en même temps que le pouvoir, à son lieutenant Iéyatsu (1542-1616) de la noble famille de Minamoto, fondateur de la dynastie des Tokugawa, laquelle a conservé le Shogunat jusqu'à l'ère moderne. Iéyatsu ayant reçu en échange de son fief de vastes provinces vers l'Est, fonda la ville de Yédo, qui n'était rien qu'un village de pêcheurs, et s'y bâtit une vaste forteresse.
Le XVIe siècle, avons-nous dit, marque l'apogée des Cha-no-you. Nobunaga, Hideyoshi et à leur exemple maints puissants barons féodaux furent d'enthousiastes buveurs de thé. Il est parlé alors comme de la plus haute faveur de présents faits sous forme de tasses ou autres ustensiles de thé ; l'estime où l'on tenait un bol, une coupe célèbre, est inouïe. On voit des capitaines d'illustre naissance troquer leur sabre contre une théière ; d'autres, vaincus, condamnés à mourir, s'exécutent cha-wan en main au milieu de l'incendie de leurs forteresses qui s'écroulent.
Il faut dire aussi que les réunions étaient souvent des conciliabules où, sous prétexte de thé, les Samuraï étaient convoqués pour traiter en secret les affaires de la guerre et de la politique. Dans l'automne de 1587 Hideyoshi, le tout puissant Taïko, lança une invitation à la nation japonaise pour le plus formidable « five-o'clock » qui fut ou sera jamais, sous forme d'un édit dont on possède encore la minute. Tous les amateurs de thé de l'empire sont sommés de se réunir (date fixée) en plein air, dans la vaste sapinière de Kitano, près Kyoto; ils doivent apporter avec eux toutes leurs curiosités et bibelots de thé sous peine de mort, « sous peine de perdre à jamais le goût du thé », dit gentiment l'édit.
La fête réussit magnifiquement et se prolongea pendant dix jours. Le tyran à face de singe(4), parcourant l'assemblée, vint insinuer sa grimace auprès de chaque cercle d'amateurs, prisant et admirant les ustensiles dont les plus beaux, est-il besoin de le dire, demeurèrent entre ses mains, — et remplir, comme il l'avait promis, sa tasse à chaque théière. Toutes les classes étaient représentées et pêle-mêle; le code du Chanoyou d'ailleurs est égalitaire et ne reconnaît aucune préséance.
Quelques années après, en 1594, Hideyoshi convoqua à son palais de Fushimi (près Kyoto) les chefs des différentes sectes ou écoles qui s'étaient formées à propos de l'art du thé. (4). Tel était le surnom du Taïko - il était fort laid.
Le plus notoire parmi ces chajins (maîtres de thé) était Sen-no-Rikyu ; appelé plus communément Rikyu (1521-1591), grand nom, très populaire encore au Japon. C'est lui qui réforma et codifia définitivement la cérémonie, lui donnant les règles qu'elle a conservées depuis.
Sen-no-Rikyu
Rikyu, également expert dans la science des bouquets, était d'une compétence inouïe en matière d'objets d'art et de curiosités. Mais il abusa de ces dons pour s'enrichir démesurément et cela en trompant jusqu'à ses meilleurs amis auxquels il vendait des copies pour de l'ancien, etc. Très lié avec Hideyoshi qui se disait son disciple, il accompagna son puissant ami dans ses campagnes, présidant aux parties de thé qui se donnaient entre deux batailles. Cependant sa mauvaise foi finit par irriter le maître. A cela vint s'ajouter son refus d'accorder au Taïko la main de sa fille, créature exquise qui était fiancée à un autre. Tombé en disgrâce, Sen-no-Rikyu reçut l'ordre du harakiri et s'exécuta, dit-on, dans son cabinet de thé après avoir bu une dernière fois le divin breuvage, composé un bouquet et rimé une stance en l'honneur de Bouddha (1591). Des deux expéditions de Corée lancées par Ilideyoshi date pour l'art céramique un événement très important. Sur l'ordre du Taïko ses généraux ramenèrent parmi les Coréens prisonniers de nombreux potiers. Ces artisans s'établirent dans les différentes provinces qui relevaient des chefs militaires. Nous allons les y retrouver tout à l'heure en étudiant le détail des centres de fabrication japonaise qui reçurent en général de cet apport une très grande impulsion.
Au XVIe siècle, lorsque Rikyu entreprit de régénérer les « chanoyu », ce grand et judicieux esprit songea à asseoir sa réforme sur une base solide. Il choisit pour canon la simplicité, la rusticité et de ces attributs naturels du génie national fit découler la formule générale du Beau.
Les Japonais sont une nation de Spartiates. Pendant des siècles la vie avait été frugale, les mœurs patriarcales et fort simples. Au sortir des interminables guerres de la féodalité, le peuple était pauvre, très attaché d'ailleurs à toutes ses traditions. Il accueillit avec enthousiasme cette philosophie du Beau basée sur la frugalité ancestrale. Car les théories du grand tchajin pénétrèrent également les couches populaires où le sens esthétique est très répandu et demeuré encore très vivace de nos jours. Sen-Rikyu et son œuvre, compris, aimés, passèrent à juste titre à la postérité. Les ustensiles archaïques, œuvres des potiers de l'antiquité,—les vases coréens qui possèdent précisément cet aspect fruste, furent alors en grande faveur. Non contents de s'en inspirer, les habiles céramistes de l'époque mirent leur gloire à les refaire, à les imiter méticuleusement, religieusement, non pas seulement à cause de la mode ou quelquefois pour tromper, mais le plus souvent par admiration, par respect. On possède des bols datant du XVIIe siècle et signés Nin-séï, où sont enchâssés des fragments d'un autre bol antique et très-vénérable. Et quant aux copies de l'ancien, elles abondent : ce sont des antiques de la Renaissance. A partir de la réforme, le goût japonais décréta pour les objets du thé, une facture d'apparence bâclée, le décor synthétique poché en esquisse, mais avec quelle virtuosité! — et avant tout pittoresque.
Combien nous voilà loin des décorations léchées et compliquées requises par les comptoirs de Nagasaki !
Et d'ailleurs, il convient de le répéter, l'artisan japonais de la belle époque n'était pas un mercenaire. Il est une sorte d'homme de clan, feudataire de son prince, lequel pourvoit sous une forme paternelle à tous les détails de sa vie. Dans ces conditions, l'artiste œuvrait avec amour, soit en vue d'un présent à faire à un Shôgun, soit pour le trousseau de la fille de son seigneur, ou pour tout autre objectif. Il n'avait aucune concession à faire au mauvais goût d'un acheteur. L'art était parfaitement et essentiellement aristocratique, destiné uniquement à la satisfaction d'une élite restreinte et d'une noblesse hautement cultivée. Nulle préoccupation étrangère ne venait troubler l'ouvrier, pas plus qu'il ne pouvait être gêné par la connaissance d'un autre style que le sien propre, puisque, les styles, il les ignorait tous profondément.
Telles sont les concordances extrêmement favorables qui, jointes aux dons naturels de la race, ont produit cette pléiade d'artisans hors ligne dans un nombre infini de genres. Ils représentent dans l'Histoire un groupe exceptionnel, unique, et qui fait grandement honneur au génie humain.
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